fin de journée, fin de guet, bonsoir. il est dix-neuf heures passées et le soleil encore loin de l'horizon commence à rougir déjà. autour de moi les résineux chauffés toute la journée épandent leurs odeurs térébenthines. je fais le tour des pins noirs, cèdres bleus, cyprès de provence à la recherche des blessures sur leurs troncs. ce n'est pas la plaie qui m'attire mais ce qui s'en écoule, la résine odorante qui suinte de l'écorce. à contre-jour le liquide visqueux se teinte d'or, emprisonnant le soleil couchant comme futur fossile. c'est un suc qui ne pardonne pas et je comprends les moustiques, fourmis et libellules qui s'y sont perdus. de la pointe de mon canif je remue le couteau dans la plaie pour en extraire la moelle cicatrisante. mes doigts pèguent, la sécrétion s'agglutine sur ma lame. je cherche les anciennes lésions, celles qui se sont refermées, recouvertes par une couche de sève brunie, dure et cassante comme du verre fragile et friable, s'effritant au contact de l'acier. ambre en mouvement, eau-de-vie du pin, c'est cette substance qui le rend si apte à prendre la flamme. l'essence crépite et s'embrase sous le feu, bruissant le doux son des épines de pin sèches jetées dans l'âtre. cette même sève, sous l'effet pyrolyse gagne une teinte abyssale et l'odeur bistre de l'incendie passé, se liquéfie bizarrement en une poix lourde dont les gouttes réparties dans les coins des maisons protégeront les foyers des mauvais esprits.
ludovic hadjeras, fin de journée, 2023
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